Conférences SAHIV
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À Rennes, rien ne prend sauf le feu : la municipalité et les incendies au XIXe siècle
par Jean-François TANGUY
12 décembre 2020, 14h30
conférence à distance via Zoom
Affiche du maire, 8 octobre 1851 (arch. mun. Rennes)
L’incendie de la rue Saint-Melaine, à Rennes, en 1851, n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de la façon dont se déroulaient les incendies dans le centre d’une ville française au XIXe siècle. Un dicton d’origine incertaine affirmait qu’à Rennes « Rien ne prend, sauf le feu ». Il est vrai que depuis le grand incendie de 1720, nombre de bâtiments prestigieux ont été atteints par de semblables calamités : théâtre, Palais du Commerce, Palais Saint-Georges, et encore le palais du Parlement de Bretagne en 1994... Il faudrait faire une comparaison rigoureuse avec d’autres villes : il n’est pas évident que le cas rennais soit aussi spécifique que cela (et même, dira-t-on avec aplomb : pas du tout…). On sait que, globalement, l’histoire de l’incendie au XIXe siècle est mal connue. C’est d’ailleurs un peu paradoxal. Pour résumer, on a d’une part un appareil statistique en plein essor qui comptabilise un nombre d’incendies en augmentation phénoménale dans la première moitié du XIXe siècle avant que ne soit un atteint un plafond qui doit correspondre à une réalité désormais prise en compte. On a aussi la croissance d’une peur de l’incendiaire, du criminel porteur de torche qui s’insère dans le grand débat sur la criminalité en ce même siècle. C’est si vrai que la plus spectaculaire erreur judiciaire de l’époque – un « crime judiciaire » d’ailleurs, plus qu’une erreur –, avec l’affaire Dreyfus, est à l’origine une histoire d’incendie volontaire, celle des « incendies de Longepierre » (Saône-et-Loire), de 1851 à 1859. Pierre Vaux et Jean Petit, les accusés, finiront leur vie en Guyane après avoir été condamnés dans les conditions les plus iniques et c’est une bataille de plus de quarante ans qui seule permettra leur réhabilitation complète. Plus généralement, la peur du vagabond incendiaire fait partie des fantasmes et lieux communs les plus répandus dans la presse comme sans doute dans les représentations collectives rurales effectives.
Or, le paradoxe réside dans le désert intellectuel et conceptuel qui coexiste avec cette importance réelle de l’incendie. Ou plutôt, dans le fait que l’incendie « disparaît de l’historiographie, se réfugie dans la chronique et l’érudition locale ». Pourtant, l’incendie et la lutte contre l’incendie font partie de ces phénomènes sociaux (l’incendie en l’absence d’être humains est une tout autre question) ancrés dans la nuit des temps, au-delà même de l’histoire. Réglementation, garde-feux, pompiers, secours aux sinistrés, reconstruction, tout peut être repéré à travers les âges et encore plus facilement depuis le Moyen Âge. Identifier les caractères de l’incendie au XIXe siècle, définir sa spécificité, est une tâche de longue haleine et exigeant une démarche méthodologique d’une grande précision – en même temps qu’une mise en perspective se référant à l’avant et à l’après. L’entreprise n’est qu’esquissée, mais elle est du domaine du possible car les sources sont considérables.
Nous analyserons ici un exemple très typique de ces incendies urbains, de leurs causes, effets, des moyens de lutte, de leur valeur de « loupe sociale », de révélateur, l’incendie de la rue Saint-Melaine dans le Rennes de la Deuxième République finissante.
Rennes, 6-8 rue Saint-Melaine, les maisons (très mal) reconstruites après l'incendie de 1851